Enseigner les pans difficiles de l’histoire : stratégies pour aborder les sujets controversés en sciences sociales

Dale Martelli
enseignant et président de la BC Social Studies Teachers’ Association

Un volet essentiel du programme de sciences sociales, peu importe le niveau scolaire, porte sur les événements mondiaux, qu’ils soient actuels ou historiques. Certains de ces événements peuvent être polarisants ou controversés, ce qui amène parfois les enseignants et les enseignantes à éviter d’en discuter en salle de classe. Il peut être intimidant d’aborder des pans difficiles de l’histoire ou des enjeux d’actualité sensibles avec les élèves, mais ça peut aussi s’avérer très enrichissant : ces échanges permettent souvent aux élèves de développer leur compréhension, leur empathie et leur curiosité face à des réalités complexes.

Voici certaines stratégies que j’utilise pour aborder les sujets controversés dans ma classe de sciences sociales.

Aidez vos élèves à développer la littératie médiatique et à comprendre les biais dans les nouvelles

Les élèves connaissent bien le concept de « fausses nouvelles », mais ils sont souvent étonnés d’apprendre, au fil de nos recherches, que ce phénomène est documenté et existe depuis le milieu du XVIIe siècle. J’essaie de leur fournir les outils nécessaires pour remettre en question de façon critique les affirmations et les histoires qu’ils voient sur les réseaux sociaux ou dans les médias d’information.

Il est généralement plus difficile pour les élèves de repérer les biais et les sophismes dans les articles de presse que de déceler les inexactitudes dans les publications sur les réseaux sociaux. Je les encourage à aller au-delà de la simple étiquette de « fausses nouvelles » et à comparer de façon critique des reportages qui présentent des points de vue différents (par exemple, en comparant la couverture d’un même sujet par la BBC et Al Jazeera). Je souligne l’importance de considérer tout média d’abord comme une source d’information, et non comme une source de vérité, afin que les élèves puissent se forger leur propre opinion.

Parmi les compétences utiles pour développer la littératie médiatique, on retrouve la compréhension de certains sophismes courants, comme la pente glissante ou le raisonnement circulaire, ainsi que la capacité à remettre en question la position et le contexte de l’auteur ou de l’autrice de l’article.

Amenez les élèves à comprendre le contexte historique

Je crois que pour comprendre les contextes historiques, il faut se placer devant l’événement ou le texte de façon à pouvoir former sa propre interprétation éclairée, ce qui exige que nous fondions nos opinions sur des raisons et des preuves.

Une ressource qui a profondément influencé ma pratique et mes recherches est un document publié en 2009 par le Peace Research Institute in the Middle East intitulé Learning Each Other’s Historical Narrative: Palestinians and Israelis. Cet ouvrage repose sur l’idée d’enseigner les récits historiques comme des perspectives contrastées, en cherchant à comprendre et à humaniser « l’autre ». Le document est présenté en trois colonnes : une pour le récit israélien, une pour le récit palestinien, et une troisième colonne laissée vide pour que les élèves y consignent leurs notes personnelles — ajouts, questions, réflexions ou conclusions.

Dans bien des cas, j’élargis le récit au-delà de deux versions seulement, afin de montrer aux élèves que l’un des défis de l’histoire est qu’il existe de multiples interprétations des événements passés. J’essaie de les amener à analyser rationnellement ces récits divergents, sans y projeter d’emblée leurs propres valeurs.

Mettez l’accent sur la compassion et le respect dans le dialogue

Dans ma classe, j’évite le débat traditionnel, qui repose sur la logique du gagnant et du perdant. Je privilégie plutôt ce que j’appelle une « rencontre d’apprentissage collaborative ». Durant ces rencontres, les élèves discutent de points de vue divergents sur des événements mondiaux controversés, mais dans le but de comprendre l’opinion de l’autre et non de gagner un débat. Lorsqu’un désaccord survient, nous le reconnaissons, puis nous cherchons à établir des ponts entre nos perspectives et à avancer dans un esprit d’engagement transformateur. Tout cela se fait dans un cadre où la compassion et le respect sont au cœur du dialogue.

Au début de l’année scolaire, j’accorde beaucoup d’importance à ce que signifie écouter, surtout lorsque les émotions sont vives. Lorsqu’une discussion en classe risque d’être polarisante, je commence toujours par reconnaître avec les élèves que notre échange pourra être chargé d’émotions, contesté et controversé. Il est essentiel que nous cheminions ensemble dans le respect et la bienveillance, en nous appuyant sur des arguments fondés sur la raison et des preuves plutôt que sur les émotions. Je ne crois pas que le discours rationnel doive être dépourvu d’émotion, mais il ne doit pas non plus en être affaibli. Nous établissons également des attentes claires quant au dialogue respectueux en classe, ce qui comprend des règles sur le langage approprié, ainsi que sur les affirmations qui sont problématiques, exagérées ou polémiques.

Utilisez l’enquête

Ma recherche doctorale a commencé par l’exploration de récits controversés en historiographie, en particulier le traitement des biais — ou plus précisément des jugements préalables — dans l’enquête historique. On demande souvent aux élèves de mettre de côté leurs biais lorsqu’ils mènent une enquête, mais je me suis interrogé sur la possibilité réelle d’éliminer complètement les jugements préalables. Au fil des ans, ma pratique pédagogique a évolué : je privilégie maintenant l’exploration de ces jugements préalables plutôt que leur rejet lorsqu’on mène des enquêtes.

Dans ma classe, l’enseignement fondé sur l’enquête est guidé par la compassion, la compréhension et une forme d’empathie rationnelle. J’encourage les élèves à nourrir leur curiosité et à trouver leur propre façon d’exprimer ce qu’ils ont compris. J’espère ainsi favoriser un sentiment d’appropriation de leurs apprentissages et de leurs idées — ce que les feuilles de travail ne permettent pas toujours. Les seules limites que je pose à l’enquête en classe sont les suivantes : la démarche doit être en lien avec le sujet traité, et la conclusion doit s’appuyer sur des faits ou des arguments et démontrer une certaine forme de compréhension empreinte d’empathie.

Dans le cadre de l’enquête historique, je ne présente pas la compréhension empathique comme processus affectif. Peter Lee et Denis Shemilt définissent l’explication empathique comme « […] l’élucidation des liens entre les objectifs, les croyances et les valeurs, de façon à ce que l’on puisse comprendre pourquoi un comportement ou une pratique sociale pouvait être raisonnable dans son propre contexte, même s’il nous paraît aujourd’hui déraisonnable. » (1) Ainsi, Lee et Shemilt soutiennent que l’empathie est une démarche rationnelle, qui doit être orientée par les jugements préalables de l’élève (y compris ses objectifs, croyances et valeurs) pour qu’elle ait un véritable effet sur la compréhension historique.

Établissez un climat de confiance avec les élèves, les parents et la direction

Il est essentiel de communiquer clairement avec les parents et les membres de la direction avant d’aborder des sujets controversés, car vous leur permettez de vous faire part de leurs préoccupations avant que les apprentissages prévus aient lieu. J’envoie toujours un courriel aux familles et à la direction pour leur présenter ce qui sera abordé en classe, les raisons de ce choix et la façon dont le sujet sera traité. Je précise également que les élèves apprendront à distinguer entre opinions personnelles et énoncés susceptibles d’être considérés comme des affirmations de vérité. Cette approche constitue une bonne pratique, que ce soit avant une discussion en classe ou avant de présenter une ressource — par exemple un film — qui pourrait contenir un point de vue perçu comme « erroné » par certains parents.

Les élèves sont également plus enclins à faire preuve de curiosité et à exprimer sincèrement ce qu’ils comprennent lorsqu’ils savent que l’empathie, la compassion et le respect sont au cœur de toutes les relations et activités d’apprentissage en classe. Il faut du temps pour établir cette relation de confiance, mais c’est un élément essentiel d’un environnement d’apprentissage bienveillant — particulièrement lorsqu’il est question de sujets controversés.

Ressources

(en anglais seulement)

Learning Each Other’s Historical Narrative: Palestinians and Israelis by the Peace Research Institute in the Middle East: http://traubman.igc.org/textbook.htm

Straight A’s for facilitating crucial conversations by Facing History and Ourselves: https://www.facinghistory.org/resource-library/straight-facilitating-crucial-conversations

1 Peter Lee and Denis Shemilt, “The Concept That Dares Not Speak Its Name: Should Empathy Come out of the Closet?” Teaching History, 143, 2011, p. 40. Jan/Feb2024